Crise du logement : des réponses atypiques aux défis urbains

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Et si votre futur logement se situait dans… un vieux supermarché ? Une ancienne prison ? Non, ce n’est pas le pitch d’une série dystopique, mais bien la réalité de certains projets qui voient le jour en France et ailleurs pour faire face à une crise du logement qui se poursuit depuis quelques années. Eh oui, lorsque les terrains manquent et que la pression foncière s’emballe, les professionnels de l’urbanisme doivent rivaliser d’ingéniosité pour transformer un existant inattendu en un lieu habitable… Vous n’y croyez pas ? Suivez le guide !
Crise du logement : une bombe à retardement
Alors que le marché de l’immobilier reprend peu à peu des couleurs, porté notamment par des taux d’intérêt qui facilitent l’achat, la crise du logement, elle, se tend fortement avec une offre locative qui chute. Et c’est là tout le problème. Les données et études statistiques sur les constructions neuves publiées par le ministère de l’aménagement du territoire indiquent qu’entre mai 2024 à avril 2025, les autorisations de construction ont chuté de 5 %, confirmant la baisse structurelle de la production de logements neufs amorcée depuis la crise sanitaire.
Face à cette tension croissante, le 18 juin dernier, la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) a alerté la classe politique sur la gravité de cette crise et l’a sommée de se rassembler pour enfin parvenir à l’endiguer.
Selon la Fnaim, fin avril 2025, les ventes de logements anciens ont augmenté de 2,5% sur un an. Si certaines grandes métropoles restent en difficulté, les prix se stabilisent avec un ralentissement des baisses (-0,6 % sur un an en juin 2025 contre -3,2% en juin 2024). De leur côté, les taux d’intérêt ont cessé de s’affoler : 3,11 % en mai 2025 contre 4,21 % fin 2023.
Des initiatives porteuses face à la crise du logement
Si la crise du logement paraît parfois insoluble, quelques initiatives germent en France et ailleurs pour contourner cette problématique. La réalisation de ces projets demande de l’implication des pouvoirs publics et des ressources de la part des professionnels du bâtiment et de l’immobilier. Mais certaines réussites prouvent que, lorsque l’urgence pour loger des familles est là, l’imagination peut devenir une alliée précieuse. En plus de revitaliser des espaces inoccupés ou désertés, la réhabilitation permet de diviser par deux l’empreinte carbone par rapport à un projet de construction neuve. Que du bonus !
Nous l’évoquions dans notre article "Bureaux inoccupés : sont-ils la clé pour résoudre la crise du logement ?", ce qui semblait au départ une solution atypique - la réhabilitation des bureaux inoccupés en lieu de vie - a fini par donner naissance à une proposition de loi. Portée par le député Romain Daubié en 2023, elle a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en mai 2024.
Quand une ancienne prison devient un lieu de vie
"J’habite dans une prison !" est une phrase que vont tôt ou tard prononcer les résidents de l’ancienne prison d'Arbois, dans le Jura, à l’instar de celle de Compiègne ou de Grasse d’ailleurs ! Le projet de transformer la prison de la ville, construite en 1813, ne date pas d’hier. Dès 2012, France 3 Bourgogne Franche-Comté évoquait l’idée. Vide depuis les années 2000, le bâtiment avait suscité l’intérêt de la municipalité de l’époque, qui avaient émis l’hypothèse d’y créer des logements pour permettre aux séniors Arboisiennes et Arboisiens de rester au cœur de la ville. Une idée loin d’être saugrenue puisqu’elle avait déjà accueilli des logements HLM à la fin des années 1950, une suite logique donc… Malheureusement, ce projet, aussi novateur soit-il, n’a jamais vu le jour.
Le 17 juin 2025, le journal Le Progrès annonce que les appartements de l’ancienne prison d’Arbois sont désormais en vente, confirmant ainsi que le pari de la municipalité d’il y a 13 ans était loin d’être insensé !
Dès le début de son mandat, la maire actuelle tente de trouver la meilleure solution pour redonner vie à cette bâtisse de trois étages et de 800 m² de surface, qui coûte cher en taxe foncière et en entretien à la commune. En outre, impossible de détruire le petit immeuble, protégé au titre des sites patrimoniaux remarquables. Il a donc fallu envisager une autre voie.
Sont appelés "sites patrimoniaux remarquables" des lieux comme "les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public." Ce classement a été instauré par la loi du 7 juillet 2016 en vue de "protéger et mettre en valeur le patrimoine architectural, urbain et paysager" de notre pays.
Fin 2024, le bâtiment est finalement vendu à un marchand de bien pour la somme de 50 000 €. Ce dernier s’engage à réaliser une grosse partie de la réfection - les extérieurs et les parties communes dont la toiture et un ascenseur à installer -, tandis que les futurs propriétaires ou investisseurs devront prendre en charge les aménagements intérieurs.
Face à la forte demande locale en logements (notamment de jeunes Arboisiens qui ne parviennent pas à se loger), la municipalité pose une condition claire : l’ancienne prison abritera des logements, mais les futurs acquéreurs devront s’engager à ne pas les restaurer pour en faire des logements courte durée destinés aux touristes.
L’ancienne prison d’Arbois s’apprête à entamer une troisième vie grâce à la création de 12 logements. D’après Le Figaro Immobilier, ils seraient proposés à la vente entre 2 000 et 2 500 € le m², frais de rénovation compris.
Arbois n’est pas un cas unique : ailleurs aussi, des prisons ont été transformées en lieux de vie, avec des projets parfois spectaculaires."
Les maisons d’arrêt de Saint-Joseph, construites en 1830, et de Saint-Paul, en 1865, à Lyon ont été totalement repensées transformant deux ensembles carcéraux. Se sont ainsi 61 000 m² de bâtis sur 2 hectares qui ont été réhabilités avec 11 000 m² de bureaux, 107 logements en accession, 54 logements sociaux et une résidence de 108 chambres pour étudiants. Achevé en 2015, le projet a permis de conserver l’architecture des bâtiments, leur donnant une seconde fonction.
En 2017, un promoteur du Wisconsin a finalisé la reconversion de l’ancienne prison de Lorton, en Virginie, fermée dans les années 1990 après plus de 90 ans d’activité pénitentiaire. Le site accueille désormais un vaste complexe résidentiel composé de 165 appartements (dont 98 % proposés à la location), 157 maisons de ville et 24 maisons individuelles. Le tout est complété par des commerces de proximité et divers équipements collectifs, tels qu’une piscine et des salles de sport.
Achevée en 1931, la prison du quartier de Chelsea-Manhattan à New York va être transformée en logements 100% abordables. Baptisé Liberty Landing, le projet devrait contenir 146 habitations.
Vivre dans un ex-supermarché : la nouvelle idée face à la crise du logement
En 2023, le gouvernement français a planché sur un sujet paraissant insoluble : que faire de cette France qualifiée de "moche" et des zones d’activité commerciales qui l’occupent ? Ces zones d'aménagement concerté (ZAC), modernes dans les années 1960 car flambant neuves, sont aujourd’hui grandement vieillissantes, dégradées, vides ou encore en friche et s’étendent sur plus de 500 km² additionnés, un peu partout sur notre territoire. Alors qu’en faire ?
En mars 2024, l’idée a fait son petit chemin… Dans le cadre de son plan de transformation des zones commerciales, l’État annonce un premier soutien à 74 projets, avec un soutien financier de 26 millions d’€. Deux mois plus tard, ce sont 16 projets supplémentaires qui ont été dévoilés pour un montant de 5,4 millions d’€. Au total, 90 initiatives sont accompagnées financièrement par l’État. Mais que cachent ces projets ? Une mine d’or pour atténuer le besoin en logements dont la France manque cruellement. Boudées par les entreprises, ces zones d’activité, qu’elles soient commerciales, industrielles, artisanales ou encore portuaires pourraient revivre. Grâce à ce programme, la France devrait se doter de 25 000 nouveaux logements dans les prochaines années.
Ce dispositif de l’État répond à un triple objectif annoncé par le ministère de l’économie et des finances :
"Accompagner la transformation des zones commerciales situées en entrée de ville pour en faire des lieux de vie à part entière et adapter leur modèle aux enjeux actuels ;
Améliorer l'attractivité de ces territoires ainsi que leur intégration dans l’architecture et l’urbanisme communal ;
Adapter ces espaces aux changements d’habitudes de consommation, aux impératifs économiques et aux urgences environnementales actuelles."
Par exemple, le plus ancien centre commercial de Saint-Malo a déjà commencé à se refaire une beauté. Érigé dans les années 1970, il ne ressemblera plus à ce qu’il est et deviendra un espace dédié aux habitants et aux associations, grâce à une enveloppe de 461 000 € attribuée par l’État dans le cadre du plan de transformation des zones commerciales. Sur les 32 000 m², ce sont 18 000 m² qui seront réhabilités dans un premier temps. Cette surface comprendra 90 logements et des commerces en rez-de-chaussée, un nouveau supermarché, des bureaux et une halle sportive en toiture et des parkings en silo. L’espace sera immanquablement végétalisé pour répondre également à des enjeux environnementaux, incontournables aujourd’hui.
En somme, réhabiliter ces zones boudées ou délaissées est une réelle opportunité pour métamorphoser des territoires "moches" en quartiers multifonctionnels, mêlant logements, services, commerces et espaces verts et surtout… cette transformation répond positivement à la crise du logement.
Et ailleurs ? Ces pays qui rivalisent d’imagination pour loger leurs habitants
En Allemagne, à Dusseldörf exactement, un bunker de la Seconde Guerre mondiale a été réaménagé en 2021 pour accueillir 24 logements, mais aussi une garderie, un espace de coworking en rez-de-chaussée. Une solution pour conserver le patrimoine en le modernisant, en l’exploitant intelligemment et utilement !
Au Danemark, en 2005, l’agence d’architecture MVRDV a redonné vie à deux anciens silos à grains datant de 1963, situés sur le port de Copenhague. Transformés en un immeuble résidentiel audacieux, les deux structures accueillent désormais 84 appartements. Dans le même esprit de reconversion industrielle, d’anciens silos abandonnés ont également été transformés en logements étudiants ou en studios, notamment à Johannesburg (Afrique du Sud) et à Oslo (Norvège).
La ville de Wichita dans le Kansas aux États-Unis a vu un de ses parkings à étages transformés en 44 logements locatifs. Construit en 1949, 500 voitures pouvaient y stationner. Inexploité à partir des années 1980, il a fini par devenir une résidence avec parking couvert et patios en 2018, "devenant un atout communautaire et commercial du centre-ville de Wichita" selon Broadway Autopark, la société qui gère la résidence.
Bien sûr, transformer une prison ou un supermarché en logement ne suffira pas à résoudre à elle seule la crise du logement. Mais ces projets, aussi atypiques soient-ils, montrent qu’il est possible d’agir autrement, en faisant preuve d’audace, sans systématiquement construire sur des terrains vierges. Néanmoins, ces initiatives coûtent cher à l’État qui doit débloquer des millions d’euros pour tenter d’endiguer la pénurie de logements, en France ou ailleurs. L’émergence de ces idées un peu folles pourraient-elles devenir une norme dans le futur ? L’avenir nous le dira.