Investir dans l'immobilier, la nouvelle Rolex ?

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Alors que dans le début des années 2000, la réussite sociale brillait au poignet de ceux qui avaient réussi, en 2025 les choses ont changé. Exit la Rolex, remisée au placard… place au patrimoine immobilier. On a cherché à savoir si investir dans la pierre était finalement le signe de richesse le plus tendance de nos jours.
La Rolex par Séguéla
Février 2009, sur le plateau de Paris Première. Jacques Séguéla, publicitaire renommé et conseiller auprès de politiques (François Mitterrand et Jacques Chirac, entre autres), participe à un débat sur la réussite sociale et les symboles extérieurs de richesse. Ce soir-là, il prononce la phrase qui deviendra aussi célèbre que sulfureuse :
“Si à 50 ans on n'a pas de Rolex, on a raté sa vie.”
La réplique fait alors le tour des médias. Si à l’époque le fond de pensée du publicitaire est perçu comme élitiste et déconnecté de la réalité, elle veut dire beaucoup des valeurs mises en avant. Car dans ces sphères, la réussite s’affiche et doit être visible. La Rolex est bien plus qu’une montre; c’est un trophée de l’ascension sociale.
La culture pop, objet de valorisation du succès matériel
Une enquête Harris Interactive datant de 2007 vient appuyer cette idée en démontrant que 63 % des jeunes de moins de 30 ans considèrent alors la possession d’objets high-tech ou de luxe comme un marqueur important de réussite personnelle.
Le sociologue français et théoricien de la société contemporaine Jean Baudrillard a analysé le phénomène de la “consommation symbolique”. Selon lui, consommer n’est pas uniquement utilitaire, mais est devenu un langage, un moyen de se construire une identité sociale.
Et le fait d’être vu, valorisé ou entendu est fondamental pour beaucoup (et correspond aux derniers échelons de la Pyramide de Maslow, hiérarchisant les besoins humains). De son côté, le sociologue Pierre Bourdieu parle du capital symbolique : certaines formes de reconnaissance (prestige, titres, diplômes) donnent du pouvoir social. La Rolex en est une.
L’immobilier : nouvelle Rolex des digital natives* ?
*ceux qui ont grandi avec Internet
Aujourd’hui, les nouveaux marqueurs de réussite ne sont plus nécessairement clinquants , mais plutôt stratégiques. On ne parle plus de montre de luxe, mais d’un T3 hyper centre à Bordeaux, d’un immeuble qui fait du cash-flow positif (l’argent qui reste une fois toutes les charges et taxes payées) en périphérie de Lille, ou d’un studio à rénover à Poitiers.
Mais attention, montre de luxe et coupé sportif n’ont pas non plus déserté la scène. Des investisseurs immo comme Christopher Wangen continuent de les exhiber fièrement, comme des preuves ultimes de la rentabilité de l’investissement immobilier. Une reconnaissance sociale moins clinquante mais plus solide, plus ancrée.
C’est peut-être pour cela que moult comptes Instagram et coachs Tik Tok abondent les réseaux sociaux. Sur Youtube, certains professionnels spécialisés dans la gestion de patrimoine explosent les compteurs avec plus de 400 000 abonnés. Et c’est là toute la différence entre le début des années 2000 et aujourd’hui : les réseaux sociaux.
À l’époque, comprendre les marchés financiers ou les techniques d’investissement immobilier était réservé à quelques initiés ou à ceux accompagnés par des professionnels. Aujourd’hui, grâce à l’accès à l’information, chacun peut reprendre la main sur son apprentissage et investir dans l’immobilier en ayant conscience des leviers qui existent, surtout chez la génération Z (aka les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010).
Pas surprenant que l’immobilier y prenne une place de choix, davantage en France où la pierre est le chouchou des Français. Selon la plateforme d’investissement clé en main Maslow, 77 % des Français considèrent ce placement comme rentable et sûr, que cela soit dans le neuf ou l’ancien.
Entre crise et besoin de sécurité
Si l’immobilier est si populaire, c’est surtout parce que notre époque est marquée par un marché du travail incertain. L’intention de recrutement des entreprises françaises a ainsi baissé de 12,5 % en un an selon France Travail. Pour les jeunes diplômés, c’est pire. Seulement 41 000 embauches prévues selon France Travail, soit 16% de moins en 2025 par rapport à l’année précédente.
Quant aux retraites, beaucoup redoutent l’effondrement du système avant d’avoir atteint l’âge d’en bénéficier. D’après une étude du Cercle de l’Épargne menée en 2024, seuls 21 % des 18-34 ans pensent pouvoir compter sur les retraites classiques pour maintenir leur niveau de vie une fois à la retraite. Pas de quoi se réjouir…
Alors dans ce contexte, l’immobilier est un rempart. C’est un moyen rassurant, tangible de se protéger de l’incertitude de l’avenir. Les jeunes y voient une forme de réussite stratégique. Car si investir en bourse continue de faire peur, selon l’Autorité des marchés financiers (AMF) 69 % des Français pensent qu’investir en actions est réservé à ceux qui s'y connaissent suffisamment (même si la situation s’est plutôt améliorée avec l’arrivée de plateforme d’investissement grand public), l’immobilier, lui, est plus rassurant et plus accessible.
Car tout le monde (ou presque) peut demander un crédit à la banque et se créer un patrimoine, grâce à ce qu’on appelle l’effet de levier.
C’est le fait d’utiliser de l’argent emprunté à la banque pour investir (par exemple dans l’immobilier) et ainsi augmenter son patrimoine.
L’argent au service de l’indépendance
Aujourd’hui, investir dans l’immobilier, c’est aller chercher son indépendance en faisant travailler son argent, se créer un patrimoine et s’enrichir. L’immobilier n’est plus réservé qu’aux élites ou aux héritiers, le savoir est accessible sur tous les réseaux sociaux. Désormais, même quand on vient d’un milieu modeste, sans patrimoine familial, on peut devenir propriétaire et poser les premières briques de son avenir financier - en tout cas, c’est la promesse de beaucoup de formateurs, plus ou moins sérieux.
Allison Juglin, l'investisseuse aux 184 000 abonnés, en est la preuve. Multi-propriétaire, elle a acheté son premier appartement alors qu’elle faisait les marchés. Ni héritière, ni issue d’une famille aisée, elle a su intelligemment se construire un patrimoine et partage désormais avec toute une génération en quête de stabilité financière.
Mais pour que l’immobilier devienne un vrai levier d’enrichissement, certains misent d’abord sur l’apprentissage. L’accès aux connaissances longtemps réservées à un cercle fermé, s’est largement démocratisé.
Chloé, salariée dans une startup parisienne, l’a bien compris. Issue d’une famille de la classe moyenne, elle a vu ses parents devenir propriétaires de leur résidence principale sur le tard. “Ils avaient tous les deux plus de 50 ans” explique t-elle. Déterminée à investir dans la pierre, elle a décidé de se former avant de passer à l’acte : “J’ai mis plusieurs milliers d’euros dans une formation. C’est pas rien, mais je veux mettre toutes les chances de mon côté pour construire quelque chose de durable.”
La Rolex 3.0
Si investir est moins clinquant et plus stratégique que d’exhiber une Rolex, le phénomène cache la même logique d’exclusion. À trop glorifier l’investissement immobilier, ne risque-t-on pas de faire de ce choix une pression supplémentaire ?
“C’est vrai qu'il peut y avoir une forme de pression, surtout pour ceux qui ont des difficultés à acheter leur résidence principale”, confie Justine, salariée d’une startup et qui envisage elle aussi d’investir dans la pierre.
À force de voir celles et ceux qui se lancent, on peut rapidement se sentir en retard, voir de ne pas prendre les bons choix pour son avenir, “Aujourd’hui, c’est presque comme si tu étais un raté si tu n’as pas 3 studios et 2 immeubles de rapport. À la fois c’est motivant et en même temps ça peut déprimer, quand tu as peur de te lancer.” ajoute t-elle. Face aux discours culpabilisants de certains gourous de l’immobilier, on pourrait croire que ne pas investir revient à faire preuve d’inconscience.
Mais derrière ces discours se cache aussi une nouvelle forme d’injonction : réussir sa vie passe toujours, d’une manière ou d’une autre, par l’argent.
Oui investir dans l’immobilier est plus accessible aujourd’hui, mais ce n’est pas nécessairement à la portée de tous. Et l’indépendance par la pierre ne dit pas tout. Derrière, se cache des sacrifices, du stress, et parfois, des désillusions car les rendements ne tombent pas du ciel. Ils sont le fruit de stratégies bien ficelées, des heures de veille, et souvent, d’une bonne dose de patience.
Et quand on ne trouve pas le “bon” bien, ou que les chiffres ne collent pas à nos projections… le rêve d’indépendance peut vite devenir une source d’angoisse.
Pour les boomers et autres générations nées avant les années 80, réussir c’était cocher “les cases” : sécurité matérielle, statut social, vie de famille "modèle", accumulation de patrimoine et reconnaissance sociale,
Pour les plus jeunes générations, la donne a changé et le statut social n’est plus un critère comme avant. Selon une étude de l’Ipsos (2023), 69 % des jeunes préfèrent la stabilité financière au statut social. Aujourd’hui, la réussite ne se mesure plus uniquement à ce que l’on affiche, mais à la liberté d’avoir le choix, de dire non, de prendre du temps, bref, de choisir sa vie. Mais à l’ère des réseaux sociaux, même cette réussite se compare. Comme le souligne le sociologue Hartmut Rosa, nous vivons dans une course permanente à l’optimisation de soi (“devenir la meilleure version de vous-même” doit certainement vous dire quelque chose). Selon un baromètre réalisé par la Fondation Jean-Jaurès en partenariat avec la Macif et l'institut BVA Xsight, publié en décembre 2023, 61 % des jeunes déclarent ressentir une pression à “réussir leur vie”, en grande partie à cause des comparaisons en ligne.
Alors, l’immobilier est-il la nouvelle Rolex ? Peut-être pas au sens bling-bling du terme. Mais il incarne une nouvelle forme de réussite, plus stratégique. Investir, c’est afficher une ambition : celle de sécuriser son avenir, de gagner en liberté… et de réussir, autrement.