Devenir propriétaire sans compromettre l'écologie, est-ce vraiment possible ?

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Longtemps symbole de réussite et de stabilité, investir dans la propriété individuelle est aujourd’hui pointée du doigt pour son impact environnemental. Faut-il pour autant renoncer à devenir propriétaire ? Existe-t-il des alternatives pour faire rimer habitat personnel et conscience écologique ? Pour en parler, on a reçu Aurore Pinon-Jacques, co-fondatrice de GoodVest, une entreprise spécialisée dans l’investissement durable.
L'immobilier : 2ème secteur le plus pollueur
Un enjeu écologique majeur
Quand on parle d’écologie dans l’immobilier, on pense très souvent à la consommation énergétique : chauffage, Diagnostic de performance énergétique (DPE), énergies fossiles... Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’impact premier, c'est la construction.
Le secteur de l’immobilier représente 29 % des émissions de gaz à effet de serre selon le GIEC. C’est le deuxième poste le plus émetteur de gaz à effet de serre après les transports.
La construction d’un bâtiment représente 75 % de son empreinte écologique sur l’ensemble de son cycle de vie. Pourquoi ? Principalement à cause du béton, dont la production est extrêmement énergivore, sans compter les matériaux, le transport, les machines…
L’impact environnemental de l’artificialisation des sols
L’artificialisation, ou "bétonisation", c’est quand on transforme des sols naturels, agricoles ou forestiers en routes, parkings, ou logements en les bétonnant. En France, cette artificialisation est majeure puisque c’est l’équivalent de 5 terrains de foot qui disparaissent toutes les heures sous le béton, selon le Portail de l’artificialisation des sols du Gouvernement français.
Quelles sont les 3 conséquences majeures ?
- Des inondations accrues : car le sol n’absorbe plus l’eau.
- La perte de biodiversité : disparition d’habitats naturels pour la faune.
- Moins de captation de CO2 : moins de végétation, moins de stockage carbone qui n’est plus absorbé par cette végétation.
La population n’augmente pourtant pas si vite que ça. Alors on pourrait se demander pourquoi il y a une telle frénésie de construction ? La raison est liée principalement à la décohabitation, c’est-à-dire le fait de ne plus vivre avec les personnes qui composent notre ménage d'origine. Que ce soit des enfants qui quittent la maison, des jeunes adultes qui s’installent seuls, ou même des parents qui vivent séparément, choisissent ou sont contraints de vivre ailleurs.
Et ce changement sociétal multiplie les besoins de construction et poussent à bétonner toujours plus. Alors, face à de tels impacts sur l'environnement, peut-on vraiment demander aux futurs acquéreurs de penser à leur empreinte carbone dans leur projet immobilier ?
Pour Aurore, la réponse est oui ! Tout simplement car le réchauffement climatique ne laisse plus le choix. Les dernières données du GIEC montrent que le cap des +1,5°C a déjà été franchi. Ce cap, considéré comme un point clé pour limiter les impacts les plus graves du changement climatique, marque une étape décisive qui appelle à des actions urgentes et renforcées à l’échelle mondiale.
Neuf vs Ancien : quelle est la meilleure option écologique ?
Le biais du neuf
Acheter du neuf, ce n’est pas seulement acquérir un logement aux normes actuelles. C’est surtout créer un bâtiment de zéro, avec tout ce que cela implique :
- L’artificialisation des sols
Construire du neuf implique très souvent de bétonner des sols naturels ou agricoles. Ce processus détruit les écosystèmes locaux, favorise les inondations et empêche le sol de jouer son rôle de régulateur naturel.
- L’utilisation massive de béton et matériaux polluants
Le béton est l’un des matériaux les plus polluants au monde. Il consomme énormément d’énergie, de ressources naturelles, et rejette d’énormes quantités de CO2.
De plus, si sur le papier, le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique) d’un logement neuf est excellent - avec sa classe A ou B grâce à des normes d’isolation très strictes - , c’est loin d’être un indicateur insuffisant. En effet, le DPE mesure l’usage du bâtiment (chauffage, isolation), mais pas sa construction, qui est de loin la phase la plus polluante, rappelons-le.
Aurore met en garde : "Le DPE ne reflète qu’une fraction de l’impact environnemental d’un logement."
L’ancien, une solution écologique sous-estimée
Acheter dans l’ancien présente un avantage écologique souvent négligé : on n’a pas besoin de reconstruire. Simple comme bonjour, mais efficace comme le souligne Aurore : "On n’artificialise pas de nouvelles surfaces, et on utilise très peu de matériaux, même en rénovation."
Bref, l'ancien bien rénové, c’est le combo gagnant pour la planète. C’est parfois moins sexy qu’un programme neuf tout équipé, mais c’est bien plus durable.
La maison individuelle, un non sens écologique ?
La ville, une fausse coupable ?
Tout simplement parce que la ville est plus sobre, en particulier sur les transports et la surface habitable. Comme le souligne un rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) en 2023 : les citadins utilisent plus souvent des modes de transport durables (transports publics, vélo, marche), ce qui réduit leur impact environnemental par rapport aux zones rurales.
Tandis qu’à la campagne ou en périphérie, la voiture devient indispensable, avec des trajets quotidiens plus longs et plus fréquents, donc plus d’émissions de CO₂. De plus, en s’éloignant des villes, on accède souvent à des logements plus grands. Et qui dit plus de surface, dit aussi plus de matériaux à la construction, plus d’énergie pour chauffer, plus de mobilier et d’équipements… Autant d’éléments qui alourdissent considérablement le bilan carbone global d’un foyer.
Quid des passoires énergétiques ?
Bien sûr, la ville n’est pas irréprochable. Il existe aussi des passoires énergétiques urbaines, très coûteuses à chauffer.
Par ailleurs, certains citadins, notamment dans les très grandes villes comme Paris, ont des comportements qui peuvent accentuer fortement l’impact écologique, comme l’explique Aurore avec l’effet barbecue :
"Il y a ce qu’on appelle l’effet barbecue : partir en week-end, en vacances, prendre l’avion plus souvent... Cela augmente aussi leur empreinte carbone." Une enquête du Crédit Agricole datant de 2022 montre que 40 % des citadins partent en avion au moins une fois par an contre 15 % en milieu rural, ce qui accentue leur empreinte carbone.
Que regarder dans une annonce pour limiter son impact environnemental ?
Si vous voulez limiter votre impact en achetant, ce n’est pas mission impossible. Alors à quoi faire attention ? Que regarder ?
- Le DPE…, à condition de bien décrypter l’étiquette
Si le DPE est une indication, ce n'est pas une vérité absolue. D'autant plus qu'un bien classé D peut parfois facilement passer en C ou B avec quelques de travaux (ex. changement de chauffage). Prêtez attention à la deuxième partie du DPE qui explique les travaux nécessaires pour gagner une classe supplémentaire.
Pour les appartements, dans certains cas, les travaux de rénovation peuvent aussi concerner les autres copropriétaires.
- Évaluer les travaux nécessaires
Selon les travaux que vous choisirez de faire, l’impact écologique variera. Par exemple, remplacer un chauffage électrique par une pompe à chaleur ou une chaudière à gaz n’aura pas la même portée.
Pour l’isolation, pensez aussi à vérifier si elle se fait à l’intérieur ou à l’extérieur : les matériaux utilisés ne seront pas les mêmes, et cela peut faire une différence.
- L’emplacement, un critère essentiel
Pourquoi c'est important ? Parce qu'il compte autant pour la valeur future de votre bien que pour sa capacité à résister aux aléas climatiques. Pensez à vérifier si le logement se trouve en zone inondable ou à proximité d’autres risques naturels. Pour vous informer précisément, n’hésitez pas à consulter des ressources comme georisques.gouv.fr, qui vous donnent une vision claire des dangers potentiels liés à l’environnement.
- Anticiper les risques climatiques
Le climat change et continuera de se modifier dans les années à venir, alors soyez vigilants sur les risques d'incendies ou de submersions marines. Votre mairie est un interlocuteur privilégier pour s’informer sur les plans d’adaptation.
- La climatisation en dernier recours
Vous serez peut-être tenté de chercher un bien avec la climatisation pour faire face aux vagues de chaleur. Mais problème, elle pollue. Alors privilégiez des logements bien conçus en regardant l'orientation et la ventilation du bien.
Si la clim peut devenir indispensable, elle ne doit pas être une béquille systématique.
Pour Aurore, c’est totalement possible d’être écolo et propriétaire ! De petits gestes peuvent faire la différence pour acheter un logement de façon plus responsable, en se rappelant notamment que :
- La construction neuve a un impact énorme, malgré de bons DPE.
L’ancien rénové est souvent une bien meilleure option pour la planète.
L'artificialisation des sols est un enjeu majeur et trop souvent ignoré.
Chacun peut agir à son niveau : par son choix de bien, par ses travaux, par ses réflexions.
Et vous, quelle place accordez-vous à l’écologie dans votre futur achat immobilier ? Prendrez-vous en compte l’empreinte carbone de votre logement avant de devenir propriétaire ?