Éco-quartiers : sont-ils vraiment écolos ?

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On en entend parler un peu partout : les éco-quartiers, ces "nouveaux" morceaux de ville qui promettent beaucoup. Des logements économes, des potagers partagés, des pistes cyclables, des voisins qui font du compost et tout ceci avec le sourire et une convivialité évidente. Mais derrière cette image un peu idyllique, est-ce que le concept tient vraiment la route ? On fait le point.
Au fait, c’est quoi un éco-quartier ?
La notion d’éco-quartier est née dans les années 1990 en Allemagne, nation précurseuse dans ce type de construction. C’est ainsi que le quartier Vauban voit le jour à Fribourg-en-Brisgau. En France, il faudra attendre 2003 pour que le premier éco-quartier, la ZAC de Bonne, sorte de terre, à Grenoble.
Un éco-quartier, ce n’est pas simplement un quartier où les habitants trient leurs déchets et se déplacent à vélo. C’est un projet urbain pensé dès son origine pour être durable (et - normalement - pensé pour les générations futures) : respectueux de l’environnement, agréable à vivre, bien connecté à la ville, et surtout, capable d'accueillir une mixité sociale donc pas seulement des écolos.
En somme, c’est une meilleure version de la ville "normale", mais en vert !
Dans "éco-quartier", il y a "éco", un petit mot qui fait toute la différence et signifie que l’écologie y occupe une place prépondérante. Les éco-quartiers sont construits pour durer, et selon un cahier des charges bien précis qui doit respecter des caractéristiques conciliant un maximum d’enjeux environnementaux. L’objectif d’un éco-quartier reste de générer une empreinte carbone la plus basse possible.
"ÉcoQuartier" est un label lancé en 2012, en réponse à l'article 7 de la loi de programmation du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Cet article expose le fait que l’État doit encourager "la réalisation, par les collectivités territoriales, d'opérations exemplaires d'aménagement durable des territoires". Jusqu’en 2023, la labellisation était effective "au stade pré-opérationnel et au stade du chantier", mais l’obtention du label ÉcoQuartier est désormais envisageable pour les quartiers durables déjà existants. Une vingtaine d’indicateurs répondant aux défis de la ville durable (sobriété, inclusion, création de valeurs, résilience) doivent être remplis par le quartier. Le but de ce label est de mettre en avant l’engagement de la ville pour l’environnement, mais aussi de promouvoir son exemple d’éco-quartier.
Globalement, les spécificités d’un éco-quartier reposent sur :
- des bâtiments bien isolés, construits à partir d’éco-matériaux, répondant à des exigences strictes en matière de consommation d’énergie, parfois alimentés grâce aux énergies renouvelables comme des panneaux solaires et si c’est possible, certains bâtiments peuvent être à énergie positive ;
une gestion du chantier bien pensé, les déchets doivent pouvoir être réutilisés ou bien recyclés ;
une limitation des déchets qui doivent être recyclés, triés ou compostés par les habitants, avec des bacs à tri à proximité des habitations ;
une attention particulière à la gestion de l’eau avec des récupérateurs d’eau de pluie qui permettent d’alimenter l’arrosage des différents espaces verts ou, de façon plus poussée, l’eau des toilettes ;
une organisation autour de transports en commun, de pistes cyclables et de voies piétonnes avec possibilité d’accéder à des commerces de proximité, crèches, écoles primaires, services, activités sportives et culturelles, le tout à pied ;
une place importante pour des coins de verdure avec la présence d’arbres et de pelouse ;
éventuellement des espaces verts et des potagers partagés au sein desquels les habitants peuvent se retrouver et participer à la vie du quartier.
Il s’agit du sigle relatif à “Bâtiment à Énergie POSitive”. Ce type de bâtiment produit plus d’énergie (thermique ou électrique) qu’il n’en consomme pour fonctionner et doit répondre à certains critères comme une isolation thermique et phonique très performante, une utilisation et une production d’énergies renouvelables, des équipements peu gourmands en énergie, des matériaux efficaces et à faible impact environnemental, entre autres.
Mais… si un éco-quartier est ainsi pensé, est-ce que sa durabilité est vraiment réelle ? Existe-t-il des effets pervers ou des conséquences qui n’ont pas été prévues ?
Quelques éco-quartiers, leur développement et ce qui se cache derrière…
Les éco-quartiers sont généralement construits suivant la volonté de la collectivité. Il regroupe une multitude d’acteurs pour pouvoir voir le jour comme des architectes, urbanistes, sociologues, consultants en environnement, promoteurs, investisseurs, bailleurs sociaux et gestionnaires de réseaux, entre autres. De plus, il est nécessaire que cette équipe pluridisciplinaire s’accorde au moins sur un point : la démarche durable du quartier qui doit sortir de terre.
Souvent, les éco-quartiers investissent des zones en friche, marécageuses ou viennent réhabiliter des lieux laissés à l’abandon.
L’éco-quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau, Allemagne
Il s’agit du premier éco-quartier construit sur une ancienne caserne destinée à être investie par la Wehrmacht et occupée par les forces françaises après la Seconde Guerre mondiale. Son processus de création a été amorcé dès 1993 et s’est achevé seulement en 2006. La raison ? Le gouvernement local de Fribourg-en-Brisgau a œuvré pour voir sortir de terre un éco-quartier centré sur la participation des citoyen avec un degré de cohésion sociale très important et une dimension écologique prépondérante. Des "groupes de construction" constitués de futurs habitants se sont formés pour réhabiliter le quartier et concevoir les logements.
Les 42 hectares qui accueillent le lieu abritent des bâtiments collectifs construits sur le modèle de maisons passives dont les toits sont recouverts de panneaux solaires. L’eau de pluie est collectée dans d’anciennes citernes et sert pour l’arrosage des jardins, les toilettes ou les lave-linge. L’éco-quartier Vauban a été pensé comme un quartier où les distances doivent rester courtes : pas besoin de voitures, les écoles, commerces et parcs sont accessibles à pied et tramways et bus traversent le quartier. Et naturellement, la verdure y est omniprésente !
Mais…
Depuis la création de l’éco-quartier, très peu de propriétaires ont vendu leur logement. Le coût des habitations y est élevé puisque, selon le site allemand Immo Welt, le prix d’un appartement atteint environ 4 706 € au mètre carré et celui d’une maison, 6 201 €. À Fribourg-en-Brisgau, le prix moyen se trouve être légèrement plus élevé pour un appartement, soit 4 950 € environ pour un appartement contre 5 330 € environ pour une maison. Et c’est justement ce coût qui engendre une mixité sociale trop faible. Preuve en est, les habitants ont entre 30 et 50 ans, la grande majorité sont des Allemands de classe moyenne avec enfants. Mais des logements dédiés aux personnes âgées et handicapées devraient bientôt voir le jour. Certes le quartier n’est pas parfait et peut être encore amélioré, mais une chose est certaine, il y fait bon vivre !
L’éco-quartier de Ginko à Bordeaux
Il s’élève sur une zone où les constructions étaient auparavant impossibles. Pourquoi ? Cette zone marécageuse et sujette aux inondations empêchait le développement de Bordeaux. Dans les années 1960, sous l’impulsion de Jacques Chaban Delmas, alors maire, la municipalité achète 1 000 hectares inondables, crée un lac artificiel de 160 hectares à vocation hydraulique pour drainer le quartier, empêcher les inondations et agrandir la ville. Bordeaux-Lac est né et a vu se développer une immense zone commerciale, des quartiers d’habitations et passer le tramway.
En 2010, l’éco-quartier Ginko a commencé à sortir de terre, devenant le témoin d’une démarche économique et sociétale et le fer de lance du projet de la ville "Bordeaux 2030, vers une métropole durable". Architecture bioclimatique, bâtiments à faible consommation, recours aux énergies renouvelables, tri des déchets facilité, espaces de verdure, développement des transports en commun, déplacements doux, proximité de nombreux commerces et écoles primaires, mixité sociale avec des logements accessibles financièrement au plus grand nombre sont des éléments essentiels qui, sur le papier, devaient composer Ginko. Tout paraissait idyllique, l’éco-quartier devant accueillir 10 000 habitants est même primé à de nombreuses reprises, notamment par le ministère de l’Écologie en 2009.
Selon Meilleursagents, à Ginko, le prix au mètre carré avoisine les 4 500 €. Par exemple, un appartement de 94 m² est actuellement en vente à 395 000 € au cœur du quartier soit 4 202 € / m² et un studio de 19 m² issu d’un programme neuf est proposé à 131 160 €, soit 7 086 €/m² bien au-dessus de la moyenne. Les prix restent relativement élevés pour des surfaces aussi petites ! À titre de comparaison, le prix au mètre carré à Bordeaux atteint en moyenne 4 586 € pour une maison et 4 407 € pour un appartement. Néanmoins, il reste important de souligner que de nombreux quartiers du centre de Bordeaux affichent des prix beaucoup plus élevés qu’à Ginko - 6 430 € par mètre carré pour un appartement et 5 409 € pour une maison dans un des endroits les plus prisés, le Triangle d’or -, Bordeaux-Lac se situant à quelques pas de la banlieue bordelaise.
Mais après 10 années de vie, Ginko ne convainc plus, comme le met en avant la radio France Bleu début 2025. Selon les habitants, les constructions ont été faites trop vite, un balcon s’est même effondré en 2016, empêchant les habitants de revendre leur logement pendant de nombreux mois.
Et même si globalement les conséquences de cette rapidité de construction "ne sont pas graves", elles restent embêtantes : des carreaux mal collés, des volets qui se déboitent, des portes qui ne ferment plus et des plafonds et parquets défaillants. De plus, la zone commerciale adjacente, aux mains des grandes enseignes, ”empêcherait” l’ouverture de petits commerces de proximité. Pas l’idéal pour mettre en avant le “consommer local”. De plus, la propreté du quartier est pointée du doigt, les bornes de collecte des ordures ménagères auraient des ouvertures trop petites pour y glisser des sacs de grande contenance, un "défaut" qui amenait les résidents à déposer leurs poubelles à même le sol. Le problème aurait été résolu.
L’éco-quartier Hammarby Sjöstad à Stockholm, Suède
Le lieu était connu pour son insécurité, son insalubrité et sa pollution, mais il est devenu un des lieux d’habitation les plus écologiques au monde. Hammarby Sjöstad, friche industrielle, devait d’abord accueillir le village olympique si Stockholm avait été sélectionnée pour recevoir les Jeux de 2004. Cette déconvenue a tout de même fait rebondir la municipalité, qui a décidé de faire de ce quartier un modèle d’urbanisme écologique. L’objectif ? Réduire de moitié l’impact environnemental de cette zone par rapport aux années 1990. C’est ainsi qu’en 1994, 10 000 appartements ont été construits pour accueillir 25 000 habitants, le tout sur 200 hectares.
Les lignes directrices du projet déterminées par Stockholm sont bien claires : 80 % des déplacements en transports publics, une utilisation à 100 % d’énergies renouvelables, 60 % de réduction de la consommation d’eau par personne et par jour - aujourd’hui, les résidents de Hammarby Sjöstad en utilisent environ 100 litres contre 200 pour les Suédois en général - et une réduction des déchets de 40 %, avec un recyclage et une restitution des eaux grises et noires… L’éco-quartier est pensé jusqu’au moindre détail, les habitants doivent respecter un cadre de vie basé sur un usage durable des ressources, avec un minimum de consommation d’énergie, d’émission de CO² et de déchets, et un maximum de recyclage. Les déchets sont acheminés via une aspiration dans des conduits souterrains puis transformés en énergie ou recyclés. Les biogaz issus de ce traitement permettent ainsi aux bus, taxis et même voitures de circuler.
Des points noirs ? Un manque de diversité sociale indéniable. Hormis cela, l’éco-quartier Hammarby Sjöstad reste l'un des plus réussis au monde sinon le plus réussi ! Résultat : le quartier est ultra-convoité de par son cadre de vie unique, son architecture durable, ses espaces verts et la forte implication des "éco-résidents". Des avantages qui génèrent de fait une flambée des prix de l’immobilier, mais à Stockholm, c’est un domaine qui reste cher ! Selon mäklarsmart, spécialiste suédois de l’immobilier, le prix moyen du mètre carré au sein de l’éco-quartier s’élève à 7 370 € environ ; au centre-ville de Stockholm, il peut atteindre presque 9 200 €, mais dans les quartiers de la périphérie, il se situe plutôt entre 2 750 € et 3 670 €.
Alors, l’éco-quartier porte-t-il bien son nom ou est-il un vrai sujet de greenwashing ? Sous ses belles promesses et ses airs de petit laboratoire urbain de demain, il est évident qu’il fait rêver. Mais à y regarder de plus près, le cadre s’avère parfois moins idyllique. Construire un quartier écolo qui fonctionne doit être créé sous l’impulsion de différents acteurs, les habitants en première ligne, véritable partie prenante de cette réussite. Effectivement, s’il est pensé par une municipalité et des promoteurs qui imposent les règles, le risque est réel. Être écolo ne se décrète pas, c’est une démarche qui se construit au quotidien.
De nombreux éco-quartiers se rapprochent des objectifs prévus par ce type de lieux. Mais s’ils fonctionnent bien, ils finissent pas être élitistes et habités par une classe moyenne installée depuis longtemps ou des personnes aux revenus élevés. Il faut dire que, selon Europe 1 qui a étudié le sujet, “la construction à faible consommation énergétique (avec le label Bâtiment Basse Consommation) coûte 5 à 10 % plus cher qu’une construction traditionnelle.”, un coût qui se répercute logiquement sur le prix au mètre carré, enfin, tout dépend aussi de sa situation et de l’attractivité de la ville… Néanmoins, on ne va pas se mentir, réunir un développement économique viable, une mixité sociale et un cadre de vie écologique, trois éléments qui les composent idéalement, restent pour l’instant encore trop chimériques pour les éco-quartiers !