Droits de douane : comment la "pause" décidée par Donald Trump va-t-elle impacter les taux ?

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Alors que l’actualité politique a des petits airs de House of Cards, à quoi s’attendre sur l’évolution des taux ? La pause de 90 jours annoncée par Donald Trump va-t-elle calmer durablement le jeu ? Et comment se positionner, en tant que particulier comme investisseur immo ? On tente d’y voir plus clair.
C’est peu dire que l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier dernier bouleverse l’ordre du monde. Après avoir poussé les puissances européennes à se réarmer en flirtant dangereusement avec l’hôte du Kremlin, voilà que c’est sur le plan économique que le président américain sème la zizanie.
Un Libération Day aux airs de déclaration de guerre
Le 2 avril - “jour de la libération” - il a annoncé officiellement le début de sa guerre commerciale contre le reste du monde (exception faite de la Russie), en imposant une surtaxe de 10% sur tous les biens importés et des surtaxes supplémentaires visant 60 pays.
Un coup de massue (“l’un des plus intenses chocs d’incertitude de ces 30 dernières années”, écrit le journal La Croix) pour l’ordre économique mondiale, qui n’a pas tardé à faire réagir les marchés comme les partenaires commerciaux des États-Unis. Lesquels ont pour partie décidé, à l’image de la Chine, de répondre de façon musclée et en réhaussant leurs propres droits de douane à l’import.
Dans cette partie d’Uno inédite (dont on pourrait rire si elle ne mettait pas en péril l’équilibre économique de nombreux pays), c’est le match entre les deux plus grandes puissances mondiales qui tient en haleine. Dernier épisode en date : après la surtaxe de 145% annoncée par Donald Trump à l’encontre de la Chine, cette dernière a rehaussé ses “tariffs” à 125%. “Il n'y a pas de gagnant dans une guerre de droits de douane ou une guerre commerciale” a souligné le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, lors d’un point presse tenu le 16 avril. “La Chine ne souhaite pas se battre, mais n'a pas peur de se battre”.
Un jeu “perdant-perdant” inédit, de l’avis même des experts. Ainsi, l’économiste Isabelle This Saint-Jean écrit dans Alternatives Économiques qu’il s’agit là d’une “rupture absolument historique puisqu’il faut remonter au début du 20e siècle pour retrouver aux États-Unis un tel niveau de droits de douane moyen avec l’ensemble de leurs partenaires économiques.”
Et l’impact sur les marchés financiers n’a pas tardé à se faire ressentir. Ainsi, dans la foulée des annonces, les bourses mondiales ont enregistré une chute record, et ce durant plusieurs jours. Les observateurs, qui étaient convaincus que le locataire de la Maison Blanche, en bon business man, allait revoir sa politique, se sont vu détrompés. De quoi alimenter le spectre d’une récession mondiale engendrée par des décisions irréfléchies.
Il a fallu une débandade sur un autre marché pour que Donald Trump offre un nouveau revirement dont lui seul a le secret.
Marché obligataire 1 - Donald Trump 0
Finalement, c’est sur le marché obligataire que les choses se sont jouées. On vous parle chinois ? Pas de panique, on explique. C’est sur le marché obligataire que les États et les entreprises se financent. C’est là que les pays émettent des parts de dette (les Obligations Assimilables au Trésor - OAT - en France) que des particuliers comme des professionnels souscrivent pour une période longue - 5, 10, 15 ans. Avantage : si une entreprise peut faire faillite, c’est plus rarement le cas d’un État. Le marché obligataire est donc perçu comme fiable car moins volatile.
Mais revenons-en à Donald Trump et à sa guerre des droits de douane. On l’a dit, l’effondrement des bourses mondiales ne l’a pas fait bouger d’un iota. En revanche, le coup de chaud vécu sur le marché obligataire américain, oui. En effet, des doutes sont apparus quant à la solvabilité du pays. Et il faut le rappeler, si les EU sont la plus grande puissance mondiale, c’est aussi l’un des pays les plus endettés qui soit (plus de 36 000 milliards de dollars en mars 2025, selon le Département du Trésor, un niveau record).
Or, une bonne partie de cette dette est entre les mains d’acteurs étrangers - notamment la Chine. Qui s’est mise, en réponse aux hausses des droits de douane, à vendre ses obligations américaines. Résultat, le T-Bond (l’équivalent de l’OAT outre-Atlantique) est passé de 4 à 4,5%. Un très mauvais signal qui a donné des sueurs froides aux experts et qui a poussé Donald Trump à reculer et a annoncé une “pause de 90 jours” dans l’application de ses surtaxes, ouvrant la porte à des négociations.
"Les marchés obligataires ont réussi à le faire reculer, capituler diront certains, là où les autres ont échoué", écrit ainsi Eric Vanraes, CIO d’ESAM, une société de gestion de fonds genevoise sur All News, média suisse dédié à la finance.
Reste que ses “partenaires” commerciaux ont été échaudés et que ces “3 mois de sursis”, comme les présente Dominique Chargé, président de la Coopérative Agricole au micro de France Info, laisseront des traces. Comme le note Isabelle This Saint-Jean, cet épisode a créé “une faille dans ce qui jusqu’à présent était au cœur de la force de l’économie américaine : le statut privilégié de sa monnaie et sa capacité à attirer des capitaux étrangers qui financent une dette colossale et les investissements de ses entreprises”. Et le journal L’Opinion le rappelle, “la confiance se perd rapidement, elle se regagne lentement.”
En effet, les décisions erratiques du président américain laissent présager d’autres rebondissements (il a d’ailleurs annoncé de nouvelles exemptions de surtaxes, notamment sur les smartphones et les ordinateurs venus d’Asie, avant de faire marche arrière, en rappelant au passage "qu’aucun pays n’est tiré d’affaire” face à son offensive douanière).
Quel effet sur les taux ?
Les acteurs du marché notent d’ailleurs une reprise du marché, qu’il s’agisse de la production de crédit (11,9 milliards en janvier 2025 vs 9,2 milliards un an plus tôt) que de transactions immobilières. La plateforme d’annonces immobilières Bien’ici a ainsi enregistré une augmentation de +17% de ses visites au mois de mars, par rapport au premier trimestre 2024. "Notre scénario table sur une reprise progressive du marché cette année", avance Vincent Desruelles, auteur de la dernière analyse prospective du cabinet Xerfi sur le marché immobilier dans l’ancien. "Certes le rythme de croissance ne sera pas très soutenu, mais l’on parle bien d’un inversement de la tendance après deux années 2023 et 2024 de blocage pour cause de hausse brutale des taux de crédits. Nous prévoyons ainsi pour 2025 une augmentation de 5 % du volume des transactions en France dans l’immobilier ancien."
Reste que le marché locatif est plus tendu que jamais et que l’interdiction de la location des biens classés G offrent - à celles et ceux en capacité de financer des travaux de rénovation - des opportunités d’investissement intéressantes (en négociant les prix à la baisse). Le tableau est en revanche moins réjouissant pour les loueurs dans l’obligation d’effectuer des travaux, à qui on ne peut que conseiller de se tourner vers les dispositifs d’aides (MaPrimeRénov’, aides locales à la rénovation, éco-PTZ) pour les financer.
Entre coups de théâtre politiques et secousses économiques, difficile de prédire le prochain épisode de cette saga douanière. Mais une chose est sûre : les marchés, eux, n’attendent pas le dénouement pour réagir.
Pour les acheteurs comme pour les investisseurs, l’heure est à la vigilance… et aux opportunités bien ciblées. Car si l’incertitude règne à la Maison Blanche, elle n’empêche pas les taux de fléchir – pour peu qu’on sache où regarder.