4 églises réhabilitées : quand ces lieux de culte connaissent une nouvelle vie

Pendant des siècles, elles ont rassemblé leurs fidèles autour de messes et autres baptêmes. Aujourd’hui, certaines églises d’ici et d’ailleurs vivent une seconde naissance, sans rites ni chants liturgiques. Baisse de la pratique religieuse, coût d’entretien élevé : face à ces enjeux, de nombreuses églises sont transformées en librairies, logements, hôtels ou lieux culturels. Décryptage d’un phénomène en pleine expansion.

Il existe près de 100 000 églises et chapelles en France dont 42 000 édifices religieux appartenant aux communes. 15 000 sont protégées au titre de patrimoine historique et le reste appartient à l’État ou à des associations diocésaines (notamment les églises construites après 1905). Parmi ces derniers, 500 sont menacés et plus de 5 000 sont en souffrance. Selon l’Observatoire du Patrimoine Religieux, "entre 2 000 et 5 000 édifices pourraient être abandonnés, vendus ou détruits d’ici 2030". Leur état de délabrement et leur abandon par les paroissiens pousse les pouvoirs publics à s’en séparer. Parfois détruites, elles sont aussi transformées pour devenir des lieux complètement différents dont certains font débat…

N’oublions pas qu’en France, les églises font partie intégrante du patrimoine des villages, de la physionomie de nos paysages et sont, par définition, des lieux riches de symboles. Alors leur réhabilitation est parfois sujette à contestations comme cette église de Meurthe-et-Moselle qui a failli devenir un fast-food KFC. Mais après la polémique vient l’apaisement. Pour preuve, à Rennes, une église a été transformée en salle de sport, contre l’avis d’une partie de la population. Petit tour d’horizon de quelques réhabilitations parmi les plus marquantes !

Construite à l’aube du XXe siècle, l’église Sainte-Rita située dans le 15e arrondissement de Paris n’a jamais appartenu à l’Église catholique puisqu’elle a été fondée pour accueillir le culte d’une branche de l’Église écossaise. En 2010, l’association qui en était propriétaire a décidé de la vendre à un promoteur. L’église Sainte-Rita aurait pu être démolie et transformée en parking, la Commission du Vieux Paris décrétant alors que "cette architecture néo-classique très tardive et sans qualité particulière, […] ne mérite pas de protection patrimoniale. En conséquence [les membres] ne s’opposent pas à sa démolition".

Le maire et les riverains, en désaccord avec la décision, se sont battus, allant jusqu’à s’opposer physiquement au ballet des bulldozers venus pour la démolition de l’édifice religieux. Mais, après plus de 10 années de discussions - et plusieurs entreprises propriétaires -, la SCI RITA, a fini par acquérir l’église. Désacralisée, l’église Sainte-Rita a alors été entièrement rénovée - tout en conservant son cachet originel -, et a rouvert ses portes il y a quelques mois seulement. Son intérieur est devenu… une salle d’escalade. Une quasi-évidence pour ce lieu qui, selon Henri d’Anterroches (un des associés de Climbing District, exploitant de la structure) "à la hauteur pour pouvoir proposer une expérience de ‘grimpe' sur plus de treize mètres ! Le lieu reste magique, chargé d’histoire et c’est très sympa de pouvoir réhabiliter un patrimoine."

Outre son espace principal dédié à l’escalade, Sainte-Rita accueille un espace de coworking en mezzanine et un coffee shop. Le site revit et est de nouveau plébiscité, une véritable résurrection !

Édifiée en 1852, la chapelle du Gésu - forme italienne de Jésus - était destinée à l’ordre religieux catholique des Jésuites. Mais elle n’a pas assuré sa fonction première bien longtemps puisqu’elle a été fermée au culte dès 1870 et a été désaffectée. C’est presque un siècle plus tard, en 1950, que la chapelle du Gésu a connu une première seconde vie, puisqu’elle est rachetée pour abriter les archives municipales de la ville de Poitiers. Mais sa structure a fini par s’altérer en raison de constructions d’étages multiples en béton.

En 2009, les archives municipales ont déménagé et, si le lieu a été menacé de démolition, il a rouvert en 2012 pour laisser place à un restaurant gastronomique nommé tout naturellement Les Archives. Avant toute chose, il a fallu restaurer de fond en comble l’ancien édifice religieux pour aboutir à une nouvelle architecture contemporaine, dans le respect de celle de 1852 et vierge des ajouts des années 1950.

Outre le restaurant installé dans la partie basse de la structure, la chapelle du Gésu accueille également un hôtel, où, le temps d’une nuitée, les occupants côtoient quasiment les cieux…

Construite au XIIIe siècle, l’église Saint-Siméon a vu son destin basculer plus d’une fois ! À son apogée religieuse, elle abritait plusieurs confréries et pas moins de cinq chapelles. Elle a même servi de cimetière jusqu’à la fin du XVe siècle. Désaffectée au moment de la Révolution française, l’église Saint-Siméon est transformée en entrepôt puis est devenue "l’École navale des mousses et novices" en 1833 pour permettre à des enfants défavorisés d’embrasser une carrière dans la marine. En 1863, Saint-Siméon a accueilli une conserverie, la Maison Teyssonneau. L’ancien bâtiment religieux est ensuite devenu un garage et un parking qui ont dégradé son architecture et sa pierre a été noircie par la fumée des pots d’échappement.

En 1999, l’association "Cinémas indépendants Utopia" a donné un souffle nouveau à l’église Saint-Siméon et, parrainée par les frères Dardenne, elle est devenue un cinéma d’art et essai. Si le projet s’est avéré au départ ambitieux et a dû faire l’objet d’une immense rénovation, l’Utopia est aujourd’hui un cinéma connu et reconnu par la population bordelaise et des environs, mais aussi un lieu d’éducation au cinéma, de rencontres entre des réalisateurs et leur public… Il a même participé à la redynamisation du quartier. L’ancienne église est un lieu incontournable de la vie bordelaise, et un peu sacré pour les cinéphiles, il faut le dire !

Si ses fondations pourraient dater du VIIe siècle, l’église Saint-Nicaise a été bâtie au XIVe siècle. Elle a traversé les siècles, spectatrice de bien d’événements qui ont aussi façonné son allure : conflits de villages, pillages par les Huguenots, Révolution française, ouragan de 1518 qui a renversé la tour du clocher et incendie accidentel de 1934. Restaurée dès 1935 dans un style contemporain, elle a été achevée avant la Seconde Guerre mondiale. Fermée en 2002, l’église Saint-Nicaire a rouvert ses portes voilà deux ans.

En 2019, la ville de Rouen a lancé un appel à projet visant à réhabiliter quatre de ses églises désaffectées. C’est alors qu’une fabrique de bières artisanales normandes, la Brasserie Ragnar®, a ambitionné de reconvertir le site Saint-Nicaise de Rouen en une église-brasserie, un projet soutenu par la mairie de Rouen. Si la brasserie accueille les clients en extérieur au printemps et en été depuis 2020 dans le bar éphémère de Ragnar qui jouxte l’église, les travaux ne sont pas encore achevés. L’entreprise souhaite y installer une brasserie artisanale, deux bars, un restaurant, une boutique, un musée pour accueillir 800 personnes simultanément. Ce projet hors du commun devrait être finalisé en 2028, la messe est (presque) dite !

1- En 2010, l’église Jopenkerk à Haarlem aux Pays-Bas est devenue une brasserie et un restaurant réputés. Sa décoration est grandiose, du sol au plafond, s’adaptant parfaitement à l’architecture du bâtiment avec, notamment, ses immenses "bouilloires" en cuivre.

2- Le projet qui s’inscrit dans l’église Saint-François-d’Assise à Heerlen aux Pays-Bas vient d’être choisi en ce début 2025. Il s’agira d’une piscine municipale avec un bassin au sol modulable pour donner l’impression de marcher sur l’eau et permettant surtout d’accueillir des événements. L’édifice abritera également un bar vitré protégé de l’humidité de la piscine.

3- En 2006, à Utrecht aux Pays-Bas, une petite église catholique a été transformée en loft par le cabinet d’architectes Zecc Architecten. L’orgue a été conservé et les différents espaces s’articulent en fonction de cet immense instrument : cuisine, salon, bureau. Outre les vitraux qui illuminent de couleurs l’intérieur, l’espace central est immaculé, ce qui n’est pas le cas de la chambre, très sombre. Un joyau !

4- En Espagne aussi les églises prennent un nouveau départ ! L’église Santa Barbara à Llanera dans les Asturies est devenu en 2015 un des skateparks les plus originaux du monde… et haut en couleurs car peinte par l'artiste contemporain Okuda San Miguel !

Réhabiliter une église ne signifie pas toujours effacer sa vocation spirituelle, raison pour laquelle elle a été édifiée. Beaucoup de lieux désacralisés et désaffectés conservent des éléments religieux de leur ancienne vie – vitraux, autels, clochers –. Ils sont transformés en étant pensés comme des espaces de dialogue (cafés, restaurants), de culture (bibliothèques, cinémas) ou de loisirs (skateparks, salles d’escalade). La réhabilitation devient alors un véritable pont entre passé et présent, entre le monde du sacré et celui du profane. Ces églises réhabilitées deviennent des symboles d’une époque en mouvement et incarnent une société qui évolue, mais qui cherche à préserver ce qui la relie à ses origines. Lieux de prière obsolètes, elles deviennent des lieux de vie actuels.